Avec Bart De Win, Bij Ons/Chez Nous
18 décembre 2013
L’asbl DoucheFLUX organise chaque mois, en plus de ses différentes activités (toutes liées à la grande précarité), un Think Tank : rencontre entre des précaires, des membres de l’asbl, et toute personne intéressée par le sujet, avec un invité (travaillant dans le secteur, ou susceptible de présenter des questions qui sont liées à la pauvreté). C’est un laboratoire d’idées dont le but est de faire avancer la pratique des personnes qui y participent. Le mois passé, nous avions invité Bart De Win, de l’association Bij Ons/Chez Nous, pour qu’il nous explique comment s’acheminait un projet comme le PispotFestival, puisque sa finalité est culturelle, et même beaucoup plus : rock ! Et qu’il est réalisé avec le concours de personnes qui sont plus que dans la dèche, on pourrait même dire dans un no man’s land social et économique, qui ne les empêche pourtant pas d’être bien au fait (musical et politique) de ce qu’elles y programment, et d’être les chevilles ouvrières de celui-ci…
Bart De Win : BijOns/Chez Nous existe depuis 15 ans, je fais partie de ses premiers travailleurs, et la « participation » s’est toujours faite de manière intuitive ; on a depuis le début travaillé avec des bénévoles sans-abris ou ex-sans-abris. On a toujours eu des relations fortes dans ce sens-là. Et directement, on est sorti du rapport « assistant/assisté ». Dans l’aide qu’on donne, on accepte l’échec, le fait qu’il faut parfois faire 4 ou 5 fois la même chose avant qu’il ne réagisse (par exemple, pour qu’une personne accepte un rendez-vous en dehors de BijOns/Chez Nous). Notre point de départ pour des actions collectives, ça a été l’hygiène, et on a fait des actions visibles dans le centre, dès 2006. On a aussi milité contre les bâtiments vides. Puis, il y a eu cette idée de faire quelque chose de festif autour de l’hygiène et l’idée du PispotFestival a vu le jour. Pour la première édition du PispotFestival on a dû se battre avec la ville pour que le festival ait lieu. On a dû changer à la dernière minute le lieu, suite à un refus de la ville, car initialement ça devait se faire à la place Sainte Catherine. L’échevine Lalieux a été invitée à la troisième édition et a annoncé des améliorations. Et effectivement, elle a fait quelque chose ensuite : il y a plusieurs urinoirs qui ont été construits. Mais les toilettes à la fois pour les hommes et les femmes restent très rares et sont payantes (l’IBGE en a construit une à la Porte de Hal…). Ensuite, on a voulu poursuivre, car c’était une très chouette expérience, et les gens de la rue étaient demandeurs.
Annabelle : Pourquoi un festival de rock ?
Bart : À l’époque, on voyait encore beaucoup de punks avec leurs chiens dans la rue qui étaient dans cet esprit-là. Il y a quelques années, Ricky Billy s’est joint à nous, et il est en plein dans cet esprit. Bien sûr, on le connaît, il a de grandes colères, mais il y amène vraiment son truc.
Aujourd’hui, suite à un refus de la ville pour l’édition 2013, on a décidé de poursuivre en gardant ce nom, mais en supprimant la mention « pour plus de toilettes publiques », puisque la Ville estimait d’avoir fait déjà assez d’efforts. Nous mettons alors « un festival des habitants de rue ».
Charles : Un jour, les toilettes publiques m’ont sauvé la peau, j’étais à Harlem, et j’ai pu échapper à un groupe de mecs qui voulaient me cogner en m’y enfermant !
Bart : On ne s’est jamais demandé quelle serait l’image du Pispot !
Laurent : Comment vous êtes-vous mis à collaborer avec d’autres associations ?
Bart : En fait, on n’a jamais mis de l’énergie là-dedans, il y a des associations qui nous ont suivis ; on a beaucoup plus voulu travailler avec les visiteurs du festival qu’avec les associations. Les Infirmières de le Rue, Pigment et JES nous ont suivis. Le public qui vient au festival est très diversifié. On voit aussi des étudiants et des écoles passer.
Annabelle : Comment faites-vous la programmation ?
Bart : Trouver des groupes, ce n’est pas une difficulté, il y en a toujours trop ! D’ailleurs, à une édition, le groupe « Jaune Toujours » est venu. On aimerait aussi faire venir le chanteur Arno, juste pour une chanson, et je crois que c’est possible s’il n’en parle pas à son manager.
Laurent : Quel est le bilan que tu tires de la possibilité de mobilisation de cette population ?
Bart : Je crois que ça dépend très fort de ce que l’on fait. Si cela vient d’eux, cela va beaucoup plus loin. C’est un exemple mais parfois, on arrive à aller au-delà de ce que la loi permet (par exemple en faisant une occupation). Ce qui est très important à savoir, c’est que si les habitants de rue s’engagent ils te demandent à toi aussi de t’engager ! Et les résultats suivent : « Dans combien d’associations arriverait-on à faire occuper des bâtiments vides par des employés ? ». Car une occupation suppose qu’on dorme sur place soi-même par exemple… On est aussi très conscient que les sans-abris se font pointer du doigt, qu’on vit dans un système capitaliste impitoyable, qui fonce comme un TGV, qui te pousse à être « actif » et à consommer ou être écrasé ; et cela au profit de qui ? Donc nous, on ne travaille pas à la réinsertion des sans-abris à tout prix! La réinsertion dans quoi ? Quand on travaille avec les sans-papiers, on leur pose parfois la question : une fois que vous avez vos papiers, vous allez vous comporter également comme des bons capitalistes ou vous allez continuer lutter avec nous pour une autre société ? Car on voit très bien qu’il y a des sans-papiers qui veulent évoluer dans cette société capitaliste. Parfois, leur esprit change avec leur expérience. Nous, on la met en évidence. Certains réalisent que l’idéal qu’ils avaient forgé en venant doit changer (travail, capital…). On arrive à amener le sujet sur la table. Et c’est là qu’il y a possibilité qu’ils comprennent pourquoi, nous, on les aide. En tant qu’assistant social, je ne veux pas gérer la misère, mais la rendre visible.
Pierre : Pouvez-vous faire un bilan de vos 15 ans de travail ? Avez-vous réussi quelque chose ? Le bilan est-il positif ?
Bart : Je constate que le phénomène des sans-abris ne fait que s’agrandir. Pour moi, il faut que la situation s’aggrave encore pour que les gens réagissent. Et je crois que les grands forums et symposiums sont parfaitement inutiles.
Pierre : Oui, c’est l’aire du vide !
Bart : L’aide que nous avons reçue ? La CSC nous a confié le local, nous avons plus tard eu 4 contrats ACS payés par la région, et depuis 8 ans, le « Réseau Flamand où les Pauvres Prennent la Parole » nous aide.
Laurent : J’ai un fantasme, dans le bâtiment DoucheFLUX, il y aurait une grande salle, et tous les jours pourrait s’y tenir une réunion pour voir « Qu’est-ce qu’on fait ? » ! Qu’en penses-tu ?
Didier : Selon moi, il faut toucher les gens !
Bart : Je crois qu’il faut les frapper sur plusieurs fronts en même temps !!! Il y a pas mal de luttes (la biodiversité, le climat…)
Charles : Je crois que Bill Gates a déclaré qu’à sa mort, il mettrait 80% de sa fortune dans les OGM en Afrique, et que le reste irait à sa famille…
Pierre : Il y a la question des graines dont certaines sociétés s’octroient le droit. Et dont le droit devient limité !
Bart : Moi, j’ai lu dans le Soir que deux tiers des Belges trouvaient qu’il y avait de graves problèmes au niveau de l’alimentation… C’est intéressant de voir que les Belges, qu’on croit indifférents à beaucoup de choses, en parlent.
Pierre : C’est vrai que le bio explose, mais il est déjà récupéré par la société capitaliste !
Laurent : Ce qui est important, c’est le fait d’étendre la question, ne pas faire de la pauvreté un sujet isolé des autres… Il faut sortir le « secteur » du secteur de la pauvreté !
Bart : Je crois que ce qui est important à dire, par rapport au Pispot ou à d’autres expériences, c’est que si tu arrives à faire quelque chose avec ces personnes, tu vois aussi que ça agit sur elles…
Annabelle : Les valeurs se renversent par l’action commune…
Bart : Pour moi, la prise de parole doit toujours être couplée à l’action !