Avec Murat Karacaoglu, Le Clos
22 janvier 2014
Murat Karacaoglu : Il faut planter le décor. Le Clos existe depuis 1997, et la fréquentation augmente de jour en jour. C’est un accueil de jour pour les sans-abris ouvert toute l’année, 7 jours sur 7. Il y a des douches, un salon-lavoir, un service dentaire. Toute la structure est tournée vers ces personnes et ces services.
A début des années 2000, on a eu la volonté de faire tourner la structure en autonomie et l’accès était complètement libre. Tout le monde venait. Au niveau des tavailleurs sociaux le turn-over était très important entre 1988 et 2001.
La fréquentation du lieu a été fort affectée par la guerre de Yougoslavie. Il y a eu un effet de glissement de population. Plus le nombre de personne en situation illégale ou irrégulière augmentait, plus la population régulière diminuait.
La direction et le personnel du Clos a retravaillé les objectifs et les missions du lieu au cours de l’année 2001. On s’est posé la question de savoir si on proposait des services ou si on faisait de l’action sociale, car la structuration des personnes qui fréquentaient le lieu était également essentielle. On a donc élaboré différents objectifs à leur égard : la structuration temporelle qu’on pouvait leur offrir, le sentiment de sécurité, la fidélisation (pour pouvoir faire un travail avec eux).
Donc, pour nous, la question qui s’est posée, ce n’est pas de définir le statut de bénévole qu’ils pourraient avoir, mais plutôt de voir à quoi cela pourrait leur servir. On ne voulait pas se perdre dans du discours et du « bla bla » social. Pour nous ce qui comptait, c’est ce que cela permettrait.
Il ne faut pas négliger non plus, dans cette dynamique de travail, les questions de santé mentale et d’addiction des personnes à qui l’on rend service et que l’on voulait inclure dans ce processus, ces questions étant souvent imbriquées à leur situation. Car cela posait un problème profond d’adaptation à « l’outil travail ».
Quand on intègre un sans-abri dans un processus de travail, on se pose directement la question de ce que l’on cède en contrepartie. On peut poser cela en terme de « don » et de « contre-don » qui permette d’établir un rapport d’égalité. De ce fait, la question de l’identité et le processus identitaire est constamment posée au Clos. C’est pour cela qu’on a posé différents jalons « identitaires » en fonction de l’action posée par ceux-ci et leur situation dans le temps par rapport au Clos. On a donc fixé qu’il y avait : 1. Les usagers (les personnes qui bénéficient de l’aide) ; 2. Les usagers aidants (pour le moment quatorze personnes par jour) ; 3. Les usagers volontaires (c’est-à-dire ceux qui sont sortis de la rue, qui ont un lien contractuel avec le Clos dans le sens qu’ils ont toujours besoins des services de celui-ci), qui ont un défraiement et des horaires précis, et pour qui un travailleur social est désigné afin de les accompagner (il peut y en avoir cinq, car notre capacité d’encadrement ne permet pas plus). On compte pour le moment quatre personnes dans cette troisième catégorie.
Le but de ce dispositif en différentes catégories progressives est que les bénéficiaires puissent devenir peu à peu volontaires et ainsi ouvrir une porte vers l’autonomie. Par ailleurs, une des pierres d’achoppement de cette structuration en différents niveaux de services est que cette progression possible contribue très clairement à l’évolution de « la perception de soi » de ces personnes. En contrepartie à leur service rendu, ils bénéficient de repas et de douches gratuites (en dehors de ce cadre, tous nos services sont payants).
Didier (qui a fréquenté pendant longtemps Le Clos) : Je confirme, c’est un système tout à fait génial. En plus, en entrant dans ce processus, on a aussi un accès facilité aux hébergements qui sont disponibles.
Murat : La question principale reste ce que l’on veut faire de ce volontariat. On a des critères de sélection pour ce volontariat en fonction de nos besoins en terme de capacité et disponibilité. Les qualités qu’ils ont de contribuer à la chaleur humaine du lieu et à l’accueil qu’il procure sont omniprésentes.
Laurent : Quelles sont les fragilités de ce système ?
Murat : Le point le plus crucial et qui peut fragiliser complètement cette construction, c’est le fait que la personne qui s’y inclut se retrouve sans la perspective de sortir de la rue. Alors, tout le système peut tomber à l’eau. Une autre limite de cette manière de travailler, c’est le nombre de personnes qui peuvent en bénéficier sans le fragiliser : les petits noyaux permettent une évolution dans la structure qu’un trop grand nombre réduirait à néant.
Mélanie : Cela peut paraître désuet, mais si l’on veut retrouver une autonomie, le fait de s’engager dans des tâches quotidiennes comme peler des pommes de terre par exemple pour l’association, c’est un pas élémentaire vers une mise en place autonome.
Vanessa : Murat a insisté sur la nature volontaire de la proposition. C’est aussi essentiel. Le point de départ, avant la compétence technique, c’est la motivation. C’est aussi essentiel de donner quelque chose en échange de ce service. Chacun se place là où ça lui convient. Il y a des situations différentes selon chaque personne.
Mélanie : Il y a des types d’aide différents, ce qui est essentiel. Par contre, on est très conscients qu’il n’y a pas assez d’aide d’urgence !
Didier : On dit toujours qu’il faut être bien pour aider. Et bien dans ce cas, je n’aurais jamais aidé personne et je ne m’en serais pas sorti.
Mélanie : Dans les magasins des Petits Riens, cela fonctionne un peu différemment : les tâches sont les mêmes pour les bénévoles et pour les bénévoles précaires. Cela tient à l’importance que l’on a vu à ne pas créer des catégorisations : on est tous considérés comme des travailleurs, c’est très important pour nous. Il y en a peut-être qui sont encadrants, et d’autres encadrés, mais c’est relatif à la répartition du travail avant tout.