Film-débat #18 – Le charme discret de la pauvreté

Film : Gummo d’Harmony Korine (1997)

Débat : Le charme discret de la pauvreté ?

Barry : « Moi je trouve ce film, je dirais très attachant. J’ai apprécié beaucoup de scènes dans le film. Et pour rebondir sur ce que mon ami disait, «  l’on peut être pauvre et l’on peut être digne », et bien moi je pense le contraire : en tout cas, lorsque la pauvreté atteint la misère, là, je crois qu’il n’y a plus de dignité. Par exemple, une personne qui vit d’une aide sociale, là, il n’y a pas de dignité si elle a besoin que quelqu’un lui vienne en aide pour vivre et se loger. C’est difficile de concilier pour moi misère et dignité. Parce que l’homme pauvre, il est souvent tenté de faire des choses que la société dans laquelle il vit ne voudrait pas qu’il fasse. Mais je pense aussi qu’on peut être pauvre avec un minimum de moyens – en entretenant modestement sa famille – et dans une telle situation, c’est possible d’avoir de la dignité. Et il y a même du charme dedans. Car l’homme pauvre a certaines libertés que l’homme riche n’a pas. Moi, en tant que pauvre, je peux aller partout ici à Bruxelles ; personne ne me connaît, donc je peux faire ce que je veux (pourvu que ce soit légal bien sûr !). Par exemple, un bourgeois ne peut pas se permettre de faire des choses que moi, pauvre, je peux faire. En tout cas, il ne peut pas aller dans certains milieux que moi je fréquente. Donc, moi je trouve quand même dans la pauvreté un certain charme, qui est discret, mais auquel l’homme riche n’a pas accès. Pour moi, il y a du charme dedans. Mais je n’ai pas dit que je voudrais rester pauvre. Tout le monde aime être riche, mais moi, je ne voudrais pas être Bill Gates. Je crois qu’il n’est pas libre. Moi, je voudrais juste avoir de quoi vivre dignement ; mais pas avoir une fortune colossale. C’est ce que je voulais dire, merci. »

Une intervenante : « Bonjour, nous on est ici aujourd’hui parce qu’on est stagiaire assistante sociale. Et donc, on voulait venir ici pour écouter des personnes qui sont dans la pauvreté. Parce que, en tant qu’assistante sociale, on est confrontées à ce que vous appelez le « charme de la pauvreté »… Je parle de la Belgique. Par exemple une assistante sociale dans un CPAS qui reçoit quelqu’un de pauvre, est-ce que cela la touche, est-ce que ces pauvres ont un charme pour elle, qui lui donnera plus envie de les aider ? »

Vincent Peal : « Moi, je voudrais rebondir sur ce que Barry disait, car je trouve que c’était assez vrai. Finalement, je fréquente parfois des gens qui ont beaucoup d’argent, mais je ne les trouve pas plus heureux que des gens qui n’ont pas d’argent. Il explique qu’il a une certaine liberté. »

Un intervenant : « Comment voulez-vous trouver de l’emploi, et rentrer le soir au Samusocial pour aller dormir ? Dans le film, on évoque un homme qui vend de la coke, et qui sort, entouré de femmes, et de pouvoir. Mais il n’apparaît justement presque pas dans le film. Ce type-là est sorti de la pauvreté pour le plaisir et le pouvoir. Il n’apparaît presque pas dans le film, parce que justement, il n’incarne pas ce charme-là. »

Un intervenant : « Pour moi, les pauvres sont aussi dans un système. »

Un animateur : « Pour rebondir sur la question de la dignité dans la pauvreté, ici, il y a beaucoup de dignité, à La Rencontre. En se battant, tu acquières une dignité. Selon moi, dans le film, ils ont cessé de se battre. Ils sont en perdition… »

Annabelle Dupret : « Je voulais quand même réagir par rapport au fait qu’il peut y avoir différentes appréciations du film et une infinité d’appréciations, car moi, je n’ai pas perçu ces notions de perdition du tout. Je peux vous donner un exemple concret et rationnel. Souvenez-vous de ce jeune garçon qu’ils croisent et que les deux garçons que l’on suit dans le film interrogent, parce que celui-ci tue également des chats pour avoir des économies. Ils lui posent des questions sur sa grand-mère. Et le jeune garçon leur explique qu’il souffre terriblement de la charge qu’il porte. Elle est dans un semi coma et il doit se charger de la nourrir et de la changer tous les jours. C’est une charge insupportable pour lui qui met en péril sa propre dignité. Donc, qui a le droit de lui faire porter cette charge ? Pour vous, est-ce immoral que les deux garçons, héros du film, débranchent la machine qui maintenait la grand-mère de ce garçon en vie ? Nous n’allons pas débattre sur le fait que c’est moral ou non, mais la conséquence libératrice, c’est que leur ami n’aura plus cette charge-là à porter. Pour moi, leur mode de vie n’est donc pas de la perdition, puisqu’il y a aussi des conséquences positives à tout cela. »

Un animateur : « J’ai l’impression que ces deux jeunes étaient des rôles travaillés à part dans la fiction, car il y a un moment où il y avait une humanité et une sensibilité qui était travaillée chez ces jeunes. Et puis, j’ai adoré l’image du jeune habillé en lapin ; cela mêlait folie, liberté et légèreté. »

Vincent Peal : « Moi, ce qui m’a touché, c’est, dans le film, la femme avec son bébé, car j’en ai photographiée une dans la rue, dans mon quartier. Je l’ai rencontrée parce qu’elle habite à côté de chez moi, et elle croit vraiment que sa poupée est son enfant. Donc, je l’ai prise en photo, et je lui ai demandé si je pouvais la filmer ; et elle m’a expliqué qu’elle était toujours très seule, que la poupée est devenue son enfant. Donc, elle la nourrit, elle lui parle, etc. Moi aussi, le personnage en lapin m’a touché, car j’en connais beaucoup, des personnes qui font les poubelles à la fin du marché aux puces des Marolles, qui se trouvent des chapeaux, qui se construisent un personnage, et moi ça m’intéresse. C’est charmant et ça me touche beaucoup, parce qu’aujourd’hui, tout le monde s’habille de la même façon, les gens se ressemblent. »

Un intervenant : « Moi, ce qui m’a interpelé, c’est ce qu’on a vu au début du film : des vues sur la catastrophe naturelle. Je crois qu’on peut imaginer cette situation dans n’importe quel pays. En voyant le film, ce que je me suis dit, c’est qu’il manquait une chose dans la société : l’Amour. Que ce soit chez les riches ou les pauvres. »

Retranscription : Annabelle Dupret

Jeudi 30 janvier 2014 à La Rencontre, 63 rue de la Senne à 1000 Bruxelles.