Think Tank #12 – Comment fonctionne l’exclusion ?

Avec Elina Dumont, Samia Attouche

27 août 2014

Présents : Didier van Innis, Laeticia Beaufays, Didier Lecroart, Vanessa Crasset, Laurent d’Ursel, Stéphane Duval France, Pierre de Ruette, Jérôme Loge, Thierry Clara, Pascale Standaert, Laurence (sociologue, Observatoire Sante et du Social BXL), Augustin (secteur psychiatrie),

Parcours d’Elina : Placée à l’ADAS dès la naissance en France. L’exclusion commence dès le début.
Les familles accueillantes le sont pour gagner de l’argent. A 18 ans la majorité, ne gagnant plus d’argent, plus de famille −> la rue.
C’est une chance d’y être tombée très jeune car c’est plus facile d’en sortir qu’à un âge plus avancé.
Parmi les compagnons de route, certains s’en sont sortis, principalement des femmes. La plupart ont tourné la page et ne veulent pas parler de leur histoire. Elina, au contraire veut dialoguer avec les professionnels du social qu’elle critique aussi vivement. Et part du principe qu’il n’y a pas de honte à être pauvre. Souvent pourtant, et elle aussi quand elle était à la rue, mentait, masquait sa pauvreté. Il faut avoir envie autant que les inclus de se révolter.
Elle a eu un sentiment d’être redevable vis-à-vis des structures d’aide et s’empêchait de protester, manifester son mécontentement. Avec le recul, elle se dit qu’au contraire on devrait pouvoir autant que n’importe qui se manifester, a contrario des comportements attendus de coller à l’image du pauvre.
A la rue on pratique aussi souvent l’auto-exclusion : on sait que si on montre qu’on est exclu, on est aidé mais si on est trop revendicatif, on ne colle plus à l’image du pauvre et on n’a pas cette aide. Donc on s’exclut soi-même.
Il a fallu de longues années de psychothérapie pour sortir de cette auto-exclusion et auto-victimisation, avec un paradoxe entre ce rôle joué à la rue et la psychothérapie.
Il y a aussi l’effet pervers de cette auto-exclusion et l’effet de cette image qu’on est obligé de rendre pour bénéficier d’aide. On se dit au bout du compte que vraiment on est nulle et incapable de s’en sortir seule et qu’on ne peut rien faire sans aide.
Au bout de 25 ans de thérapie, Elina s’est rendue compte qu’elle se sabotait elle-même et a décidé d’aller à la rencontre des inclus. Petit à petit, elle a fait des rencontres et eu de petites aides qui petit à petit lui ont permis de quitter la rue : une chambre, un petit job, des employeurs compatissants. Ces personnes ont donné un cadre utile.
Le système social est excluant, pessimiste, décourageant. Finalement l’encouragement est venu de personnes privées, pas des travailleurs sociaux.
Les travailleurs sociaux offraient des aides matérielles, sans aider à retrouver l’autonomie. Les aides ne concernent que des « choses » à prendre et habituent les gens, les rendent dépendants. L’habitude d’être assisté depuis le premier âge (papa et maman, c’était le système d’aide sociale) conduit à attendre plutôt qu’à réagir et à rebondir.
Quand elle a compris qu’il n’y aurait pas de solution miracle au départ du système social, elle s’est réveillée.
La conclusion : quand on est en bas, on n’a pas le choix, on ne peut compter que sur soi pour s’en sortir, n’attendre rien de personne. Les services sociaux, ce n’est qu’un petit plus. Si une personne ne comprend pas qu’elle peut s’en sortir elle-même, elle ne s’en sortira pas.
Depuis 2011, Elina a un appartement avec des commodités. Elle a eu beaucoup de mal à se l’approprier, habituée à bouger, loger à droite à gauche.
Elina aujourd’hui a créé une association.

Question : quel rôle du travailleur social dès lors ? Comment aider à cette prise de conscience ?

Le travailleur social ne peut rien faire si la personne ne veut pas. Mais c’est un long boulot, cette prise de conscience, cette remontée ne se fait pas vite, ça prend des mois voire des années.
Le travail psy a été induit par un juge qui l’a prescrit comme condition pour pouvoir être hébergée.
L’argent est aussi un facteur d’exclusion, dans plein d’associations qui exigent du travail sans rémunérer les gens. C’est un engrenage et un scandale.
Ce qui a aidé aussi c’est d’être toujours partant pour des boulots.

Laurent : OK, on prend conscience, qu’on n’est pas con et qu’on peut y arriver. Mais quid si on n’est pas jeune et qu’on est con ?

La question, c’est ce que tu crois toi.
L’assistanat peut conduire à l’exclusion mais il ne faut pas pour autant faire l’apologie du libéralisme. Certaines personnes réfutent toute aide en ce qu’elles déchargent les pouvoirs publics de leurs responsabilités. Et que faire pour les personnes qui sont simplement perdues et incapables de chercher des informations utiles pour s’en sortir ? Il faut quand même une forme d’aide « automatique ».
Le mythe, le dogme de l’assistanat = une manière d’euthanasier les gens, d’endormir les gens. C’est infantiliser les gens pour les manipuler comme on veut, formater les pensées.
Les pouvoirs publics ne sont que le bras armé du capitalisme.

Didier : Il y a aussi des gens perdus qui ne s’en sortent pas seuls. Il faut du vrai social qui permette aux gens qui savent ce dont ils ont besoin de l’obtenir. On ne permet pas aux gens d’obtenir les outils qui leur manquent. Un système de parrainage peut aider à ça.

Didier a vu Elina dans un meeting où elle dénonçait pas mal de choses qui fonctionnaient de travers et il s’est dit que cette femme devrait avoir le pouvoir, puisqu’elle n’en veut pas.

Didier van Innis : vécu aussi à la campagne. Parents châtelains du village, voyait tous les jours du monde qui venait manger à la maison. A profité de la vie de la terre. N’a pas beaucoup de culture etc. A quoi sert la culture, l’intelligence pour sortir de la rue ?

Stéphane : s’assume comme parasite publiciste, reconnu comme un « chien ». Reconnu comme malade mental et s’assume comme tel sans problème, mais il est trop lucide et il doit baratiner les neuropsychiatres.
Obligé d’être un pervers narcissique sinon se fait bouffer.

Didier : Me suis fait réformer… les hommes racontent leur parcours.

Stéphane : Les psys sont les militaires de la pensée.

Jérôme : Déviation de la société qui fait qu’on a tout tout de suite, du coup c’est difficile de se battre.

Thierry : Dans la bouche de Elina, c’est quoi être « inclus » ?

Elina : Ce n’est pas parce qu’on est au revenu minimum qu’on est exclu. Ce qui fait l’exclusion, c’est la discrimination de l’autre, l’inclus c’est celui qui exclut, qui dit : non tu n’es pas comme moi, tu n’as pas de droit ici. Sinon, tu t’inclus dans ton propre système et ça ne te pose pas de problème comme aux inclus.
D’un autre côté, c’est en allant vers les inclus que des opportunités se sont présentées. Forcément pour s’inclure, c’est avec des inclus.

C’est grave d’être exclu ? Est-ce que ça peut être un choix ou seulement une souffrance ? L’inclusion c’est un but en soi ?
Par exemple, les grands fraudeurs fiscaux s’excluent eux-mêmes en ne participant pas à la société et sont les premiers à exclure et rejeter des sdf.
Certaines personnes ont un rejet du système et préfèrent rester vivre à la marge.

Elina elle-même s’était convaincue que sa vie était bien, qu’elle l’aimait. Elle ne connaissait rien d’autre, donc c’est difficile d’imaginer autre chose. Et on a intérêt à se convaincre qu’on a la vie qu’on a choisi.
Ça dépend aussi du stade de ta vie auquel tu tombes à la rue. Ça fait sans doute une grosse différence entre son histoire à elle et celle de quelqu’un qui tombe à la rue alors qu’il a une vie derrière lui et qu’il perd tout. Elina, elle n’avait rien, avait tout à prendre et de l’espoir.

Stéphane : Dans une société idéale, on devrait pouvoir répondre aux besoins de base et pour le reste basta. Donc, si on a envie de se bourrer la gueule, on ne devrait pas être confronté à des considérations morales.

OK si c’est un choix, mais on peut aussi se convaincre qu’on a fait ce choix.

Augustin : interpellé par cette découpe d’un côté le psychothérapeute et de l’autre les travailleurs sociaux.

Est-ce que les travailleurs sociaux devraient s’inspirer de la position du thérapeute ?

Pas mal, le tout c’est quelqu’un qui te fasse buter, te retourner sur toi, plutôt que te fourguer toutes sortes d’aides matérielles.
C’est plutôt une aide au niveau du processus mental existentiel qui peut aider.
Ce qui est formidable avec un psy c’est qu’on n’est pas obligé de tricher.

Thierry : Former aussi les travailleurs sociaux à la réalité de la vie à la rue −> un stage en rue peut-être ?

Attention, ça dépend aussi de la qualité du suivi psy et du contact.

Jérôme : Travailleurs sociaux te donnent des listes de choses à faire et n’ont pas les moyens de faire de l’accompagnement.

La plupart des assistants sociaux sont eux-mêmes complètement dépassés, pas le temps, pas de moyens, lois changeantes, peu de temps et peu de formations. Les assistants sociaux sont drillés à évaluer les personnes en fonction de critères sélectifs avec lesquels il faut slalomer.
En psychiatrie : experts d’expérience, et dans le social c’est les experts du vécu.

Les assistants sociaux sont forcément formés quelque part, donc avec ces experts ?

Il y a aussi une question de distance entre le travail et sa propre vie.
Pas mal de travailleurs sociaux refusent des petites choses, interdites sous prétexte de garder la distance avec « le public ». Il y a une telle volonté de maintenir cette distance, une crainte de s’identifier à la personne dans le besoin que des choses simples comme filer son numéro de téléphone et un coup de main est impensable, scandaleux.

Proposition d’Augustin : se faire inviter par des profs en classe d’assistants sociaux pour aborder ces questions avec eux.

Attention : mauvaise information de la part des assistants sociaux qui supplantent souvent leur vision morale aux critères légaux d’octroi d’aide car il y  a toujours place à l’interprétation et à l’arbitraire, à une vision morale institutionnalisée.

Attention, ça devient de plus en plus difficile pour les travailleurs sociaux de louvoyer ou d’être souples car justement en réaction à la critique de la disparité des conditions d’octroi en fonction des assistants sociaux, il y a eu un gros recadrage, une formalisation forte de toutes les procédures qui laisse moins de place à une adaptation des mesures d’aide à la personne.

Pourquoi les femmes s’en sortent plus facilement ?

Identifiées comme plus vulnérables donc plus aidées, perçues comme moins dangereuses, plus conciliantes donc plus aidées. Et aussi attractives pour des hommes prêts à se marier ?