Think Tank #13 – Plaidoyer contre le respect des pauvres

Avec Daniel Zamora, chercheur à l’ULB

2 octobre 2014

Présents : Daniel Zamora + une amie, Nicolas Marion, Laurent d’Ursel, Gerben Van den Abbeele.

Supports : Plaidoyer contre le respect des pauvres, publié dans le numéro 83 de la revue Politiques (janvier/février 2014).

Présentation :  L’objet de la présentation de D. Zamora consistait à revenir de façon critique sur une substitution dans le vocabulaire du problème social de la pauvreté, substitution qui n’est pas sans conséquences sur le plan sociologique et fait office de révélateur des conceptions étatiques dominantes dans ce domaine : il s’agit de l’entreprise de substituer la « lutte contre la pauvreté » à la « lutte contre les inégalités ».

Faisant ainsi varier le point de vue porté sur le problème de la pauvreté, on voit se renforcer l’utilisation du champ sémantique du respect du pauvre, au profit d’une occultation de la dimension purement politique et socio-économique du même problème, à savoir celle de l’inégalité socio-économique qui distingue le riche du pauvre.

« Cette évolution cadre parfaitement avec le consensus néo-libéral de notre classe politique qui préfère parler de « lutte contre l’exclusion sociale » et de « respect » des pauvres, transformant une vision fondée sur un rapport social (pauvres/riches) en une discussion sur les déficiences individuelles des « pauvres ». » (Daniel Zamora, Plaidoyer contre le respect des pauvres, p.1)

Un ensemble d’exemples ont été mobilisés : la note de politique générale de Maggie De Block qui lie directement la pauvreté au problème de discrimination, le projet Solid-hair, l’utilisation massive du terme « respect » dans les textes d’accords gouvernementaux de ces dernières années (depuis au moins 2009), contre une présence extrêmement faible du terme « inégalité » (Cf. Schéma).

D. Zamora entend justifier en trois points pourquoi se positionner « contre le respect des pauvres » ?

1. Le « respect » vise « l’égalité des chances » et non pas l’égalité en tant que telle.

La notion de respect appliquée au pauvre vise une réduction de la discrimination exercée à l’égard des gens pauvres. Or, une société moins discriminatoire n’est pas plus égalitaire : l’inégalité des revenus y demeure identique (ex : la suppression de la discrimination à l’embauche n’augmente pas l’accès à l’emploi ni le nombre de poste à pourvoir). Une vraie société égalitaire, ce serait plus simplement « Les riches moins riches et les pauvres moins pauvres », à savoir une meilleure redistribution des capitaux.

On s’empêche ainsi de lutter contre les mécanismes qui produisent les inégalités : on se concentre seulement sur les mécanismes de répartition des inégalités (ex : (ne pas) discriminer est une façon de répartir les inégalités). Le discours centré sur le respect participe à ce masquage.

Le problème de l’inégalité des revenus est indépendant du problème de l’inégalité des chances.

2. Le « respect » vise une lecture culturelle du problème

C’est créer l’illusion que les inégalités sont le produit des préjugés : autrement dit, il s’agit de créer une continuité entre culture et inégalités, ce qui contribue largement, notamment, à rejeter la faute sur le pauvre lui-même (ex : le pauvre est fainéant, ou pas assez présentable, ou trop peu cultivé : autant d’éléments prétendu justificatifs de l’état de leur pauvreté)

Cela crée l’illusion qui si on travaille sur le préjugés, on peut modifier la situation inégalitaire :  fausse idée que si on change la « manière d’être » des pauvres, on diminue la pauvreté.

Une sorte d’équivalence est établie entre les questions liées a la diversité culturelle et ethnique et celles des inégalités sociales. Or il y a une différence fondamentale entre les deux : ex. : le musulman veut être respecté pour sa religion, mais le pauvre ne veut pas être respecté dans sa pauvreté, il ne veut plus être pauvre. La différence est de taille.

Il est, en ce sens, pertinent de noter que plus une société est inégalitaire, plus elle mobilise des discours sur l’identité (cf.schéma).

3. Le « respect » nous éloigne de la lutte contre les inégalités

Là où les politiques néo-libérales tendent à produire – structurellement – des inégalités, le renforcement du champ sémantique du respect n’est pas anodin, pour les raisons évoquées : il est nettement moins coûteux de parler de « tolérance » par rapport au pauvre que de proposer des démarches orientées contre les inégalités économiques.

La démarche favorise le renoncement à des droits sociaux et collectifs forts et l’acceptation de ce même renoncement.

Lutter contre la pauvreté sans lutter contre les inégalités est une façon de « traiter » les pauvres sans avoir à reconnaître la pauvreté comme un problème global de notre société.