Avec Nicolas De Kuyssche du Forum – Bruxelles contre les inégalités, David Trembla, membre actif de DoucheFLUX et Daniel Zamora, sociologue de l’ULB.
Dans toutes les nomenclatures sociales, il existe des tentatives pour faire communier le social et le culturel sur un plan commun : un renouvellement de la culture associée à un rapport social serait déjà une bonne manière de transformer ce même rapport. Ainsi de la lutte contre l’ « islamophobie », où l’on suppose qu’un changement de regard sur la culture musulmane serait déjà une façon de changer les rapports sociaux inégalitaires produits par les discriminations renvoyant à la religion. Si ces perspectives s’observent dans à peu près toutes les luttes concernant les identités minoritaires et discriminées, l’introduction du concept de « pauvrophobie » pose d’emblée question : peut-on penser la pauvreté comme étant l’objet de « discrimination » ? Plus fondamentalement, est-il utile et intéressant de poser le problème de cette façon ? Les pauvres définissent-ils une situation sociale qui demande des plus nantis « un changement de regard » et une « critique des stéréotypes » ?
D’un point de vue critique, ne s’expose-t-on pas, derrière le format a priori bienveillant d’un tel concept, à définitivement approfondir la culturalisation de la pauvreté (faire de la pauvreté un attribut culturel des « publics cibles » qu’il faudrait respecter), autant que la déconnexion (toute néolibérale) du concept de la pauvreté avec la question de l’inégale répartition des richesses ? Comme l’a souligné récemment Daniel Zamora,
En effet, la solution à la xénophobie consiste à faire en sorte que chacun, dans la diversité de ses croyances ou origines, puisse librement exercer ses droits. Il n’en va pas de même pour la pauvreté. Rares sont ceux qui, en effet, en appellent à célébrer et préserver la différence des pauvres au nom de la diversité. « C’est la pauvreté qu’il faut combattre, pas les pauvres ! » titre la campagne contre la pauvrophobie. On voit cependant mal titrer, de manière similaire : « C’est l’homosexualité qu’il faut combattre, pas les homosexuels ! ».[1]
À Bruxelles, l’ASBL Le Forum – Bruxelles contre les inégalités a, avec le concours de nombreux contributeurs, publié une somme nommée Pauvrophobie[2], dont l’objectif est de déconstruire de manière argumentée les idées reçues sur les pauvres, avec l’ambition « d’apporter une définition plus juste d’un phénomène qui touche un Belge sur cinq ». L’intention semble aller dans le sens de la nécessité d’une déconstruction préalable de ces idées reçues pour imaginer des solutions à la pauvreté qui soient non discriminantes. Cela étant posé, on peut se demander comment l’approche suggérée par le concept de pauvrophobie va effectivement contribuer à la fin du sans-abrisme ?
Enfin, par-delà ce risque de culturalisation, il est difficile de ne pas y relever l’absence de contributions issues de personnes directement touchées par la pauvreté. Il s’agit pourtant d’un aspect important de la question, tant l’introduction d’un tel concept est susceptible d’avoir un impact immense sur le champ social. Bref, comment ce concept est-il reçu par les personnes en situation précaire ? Les cibles de ces idées reçues perçoivent-elles une nécessité dans l’introduction de ce concept ? Qu’ont à dire les « pauvrophobisés » aux « pauvrophobologues » ? Sait-on, par exemple, si l’émergence de ce concept a apporté une plus-value à ceux.celles qui – au quotidien – subissent l’oppression de l’inégale répartition des richesses ?
Autant de questions qui méritent d’être confrontées dans le cadre du renouvellement nécessaire du « logiciel » de la lutte contre la grande pauvreté.
[1] ZAMORA, D., « Vive la pauvrophobie ! », dans Le Vif, n°42 (18 octobre 2018), pp.66-67.
[2] LE FORUM – BRUXELLES CONTRE LES INÉGALITÉS (Ouvrage collectif), Pauvrophobie, Bruxelles, Éditions Luc Pire, 2018.
Le jeudi 13 juin 2019 de 12h à 14h
Chez DoucheFLUX, rue des Vétérinaires 84, 1070 Bruxelles
Inscription souhaitée (sandwiches offerts) en envoyant un mail à Serena Alba