Avec Pauline Fonsny
2 juillet 2013
Pour Rancière, les dominés (c’est-à-dire ceux qui ne sont pas comptés dans le partage dominant et n’existent pas pour le système policier) doivent présupposer « l’égalité de n’importe qui avec n’importe qui », sans quoi il leur est impossible de s’émanciper et d’exister. Concrètement, il s’agit pour les dominés de faire « comme si » ils étaient considérés comme égaux dans la société, « comme si » ils existaient pour les dominants. Ce n‘est que de la sorte que les dominés vont pouvoir prendre la parole et exister sur un mode paradoxal, fictionnel, comme « sans part » au sein d’une société qui prétend pourtant n’exclure personne. En affirmant l’égalité, en faisant se confronter la logique égalitaire et la logique dominante policière, les dominés dévoilent le tort que la société cache. Sur cette base, l’action politique consiste alors en un processus de désidentification, de refus ou d’interruption de l’identification que le système dominant impose. Et en lieu et place de la logique de l’identification unique, le processus de subjectivation politique consiste à démultiplier les identifications en mettant en scène l’égalité. Être politique, pour Rancière, consiste à créer des scènes polémiques qui redistribuent le partage dominant. Mais nous ébauchons ici une critique : tout passe pour Rancière par des scènes de paroles, d’argumentations, où le dominé doit démontrer son égalité au dominant, avec les mots du dominant et sa logique de parole. N‘est-ce pas encore reproduire la logique classique de l’identification (de représentation) dont Rancière prétend pourtant s’émanciper ? C’est la leçon que nous offre Deleuze et la figure de Bartelby (de l’oeuvre de Melville) qu’il analyse : véritablement émancipé, car il refuse catégoriquement de participer au langage des dominants, il « fait fuir ce langage » et invente une nouvelle langue, étrangère et déterritorialisée, s’émancipe en devenant minoritaire.